Le concept de l’entreprise libérée a été développé à la fin des années 80 dans un ouvrage de Tom Peters, intitulé « L’entreprise libérée : Libération, management »[1]. Aujourd’hui, ce mouvement managérial semble être la nouvelle tendance pour lutter contre le mal-être au travail et aider à l’épanouissement des salariés.
Qu’est-ce que l’entreprise libérée ?
« La pensée managériale évolue au rythme des mouvements de mode. Il y a eu la mode du management participatif, celle des cercles de qualité ; celle du moment porte sur « l’entreprise libérée » (Isaac Getz et Brian M. Carney)
L’entreprise libérée est une expression rendue célèbre par Isaac Getz et Brian M. Carney à la suite du constat de cette pratique dans leur livre Liberté et Cie[2]. Cette « pensée managériale » comme la qualifie ces derniers, tend à donner une nouvelle inflexion à l’organisation du travail en ce qu’elle propose une suppression de la hiérarchie impliquant une autogestion des employés. Cela signifie que les salariés ne sont plus soumis à un système de commandement pyramidale mais sont au contraire tous égaux. De la même manière l’employé n’est plus contraint à une manière de faire. Il dispose d’objectif à remplir avec la méthode de son choix. La prise de décision est plus libre et autonome mais cela suppose de plus grandes responsabilités.
Il est à noter que le concept se fonde sur un postulat. Maintenant que l’employé n’est plus ni surveillé par la hiérarchie, ni prisonnier d’une méthode, comment être certain qu’il accomplira les objectifs qui lui ont été donné ? Gets et Carney estiment que l’employé sera motivé à réaliser ses objectifs en ce qu’ils le passionneront. On peut ajouter à cela que, la confiance placée en ses capacités à être autonome peut aussi être un facteur motivant pour le salarié.
Ainsi l’entreprise libérée est une nouvelle tendance dans le cadre de l’organisation du travail instaurant une relation horizontale entre les membres d’une entreprise (employé et dirigeant), dans laquelle l’employé vise des objectifs sans qu’il ne soit soumis ni à un contrôle hiérarchique, ni à une manière de faire.
Entreprise traditionnelle | Entreprise libérée |
Entreprise « comment » : on dit aux employés comment ils doivent travailler
Organisation pyramidale et verticale Modèle de commandement et de contrôle : conviction qu’il faut contrôler les salariés et leur dire comment faire leur travail Confusion entre exception et règle : management pour les 3 % Prise de décision dans le cadre de processus bien défini |
Entreprise « pourquoi » : ce qui compte c’est l’objectif pas la façon d’y arriver
Employé libéré de la hiérarchie et du contrôle Autogestion et responsabilisation des employés Pas de manager ou alors le manager a un rôle de protecteur de l’entreprise libérée Pas de procédures détaillées à suivre On accomplit des objectifs |
Quel avenir pour le manager dans un modèle qui abat le contrôle hiérarchique ?
L’organisation du travail devient horizontale. Le système hiérarchique traditionnel est abattu. Paradoxalement, ce nouveau système managérial n’offre, a priori, pas de perspective au manager dans la mesure où l’entreprise libérée s’oppose aux entreprises « comment », à savoir les entreprises dictant aux employés comment ils doivent travailler via le manager. De ce fait, le rôle de ce dernier semble inutile dans le cadre d’un management libéré.
Cependant, Isaac Getz estime que le rôle de manager peut être conservé en tant que gardien de l’entreprise libérée. En effet, Getz estime que les différents instincts et égo des membres de l’entreprise peuvent mettre en péril le modèle. L’objectif du manager serait donc de préserver le modèle de toutes atteintes égocentriques (ex. prise de pouvoir, perte de dialogue, etc.). Mais aussi, faire naître et perpétuer la motivation des salariés qui, du fait de ne plus être soumis à un contrôle hiérarchique et qui sont jugés sur la réalisation des objectifs, pourraient perdre de leur efficacité au travail.L’organisation du travail devient horizontale. Le système hiérarchique traditionnel est abattu. Paradoxalement, ce nouveau système managérial n’offre, a priori, pas de perspective au manager dans la mesure où l’entreprise libérée s’oppose aux entreprises « comment », à savoir les entreprises dictant aux employés comment ils doivent travailler via le manager. De ce fait, le rôle de ce dernier semble inutile dans le cadre d’un management libéré.
Le manager initialement écarté du modèle de l’entreprise libérée deviendrait alors la pierre angulaire de cette révolution managériale en devenant une sorte de guide. En revanche il perd de ses tâches de contrôle des employés à proprement parler, et devient un gardien de l’intégrité du concept d’entreprise libérée. Le manager renverse le management traditionnel de l’entreprise qui ne se fait plus pour les 3% mais pour les 97%.
Forces et faiblesses de l’entreprise libérée
Selon Getz et Carney, le modèle de l’entreprise libérée a permis une baisse de l’absentéisme, du stress et des risques psychosociaux au travail. Il a donc des effets positifs sur la santé et le bien-être des employés. De même il encourage ces derniers à l’innovation, renforce leur engagement et leur investissement au sein de l’entreprise ce qui tend à accroître sa croissance. En effet, la croissance des entreprises libérées est généralement une croissance à 2 chiffres.
On peut illustrer ces forces à travers l’exemple de l’entreprise libérée, W.L. Gore and associates. Pour inciter à l’innovation et lutter contre la tyrannie des petits chefs, Bill Gore supprime les chaînes de commandement et invoque la communication directe. Aussi, il impose 4 principes à respecter : le premier est un principe d’équité envers les autres, ensuite l’aide et l’encouragement des autres associés et le développement professionnel de ces derniers par la connaissance, les compétences et les responsabilités, puis la possibilité de prendre ses propres engagements et de les tenir. Quant au dernier, c’est la consultation des autres associés avant d’entreprendre une action susceptible d’affecter la réputation de l’entreprise. Enfin, il transforme le statut de ses employés en celui d’associés possédant chacun des parts de l’entreprise. Ces associés (employés) sont sous l’aile d’un parrain (supérieur) et peuvent choisir les projets qu’ils veulent concrétiser. Le rôle des parrains est d’aider l’associé à créer sa carrière à travers les différents projets choisis et les compétences développées.
Néanmoins, l’entreprise libérée est un concept un peu flou que tout le monde peut s’approprier afin de se proclamer comme entreprise libérée. Ou au contraire, son manque de repère empêche certaine entreprise de se voir comme libérée alors qu’elles pourraient l’être. Par ailleurs, une entreprise peut être libérée de façon éphémère. Autre problème, la sémantique. Déclarer la mise à mort d’un système hiérarchique tout en continuant de parler de dirigeant et d’employé tend à réduire l’impact de cette révolution organisationnelle du travail. Ensuite, nous avons soulevé un peu plus tôt, le problème de la motivation de l’employé dans la mesure où rien ne l’oblige à réaliser ses objectifs. De plus, l’entreprise libérée est un concept qui repose sur les dirigeants selon Getz et dépend ainsi de leur bon vouloir. Enfin, ce modèle n’est étendu qu’à quelques entreprises, ainsi bien qu’il semble populaire, cette notoriété découle principalement d’un buzz médiatique autour de ce concept organisationnel. A cela on peut ajouter qu’il peut uniquement s’agir d’une stratégie communicationnelle pour faire parler de soi.
Cependant, que ce modèle soit étendu ou non, qu’il fonctionne ou non, sa simple existence suppose une remise en cause du modèle traditionnel et implique de ce fait, un besoin de changement dans l’organisation du travail.
[1] PETERS T. L’entreprise libérée : libération, management, Dunod, 1993.
[2] GETZ I., CARNEY B.M. Liberté et cie, Flammarion, Février 2016, Champs Essais, numéro 1065